Re: Premier League
Posté : 10.02.2016 11:04
Le Temps, vendredi 5 février 2016
Laurent Favre
Leicester rappelle au football anglais ses vieux classiques
Leader surprise de Premier League, la petite équipe des Midlands devance les grands clubs d'Angleterre avec des recettes toutes simples et souvent aussi vieilles que le football
C'est l'heure de vérité pour les joueurs de Leicester City. Samedi (13h45), les surprenants leaders du championnat d'Angleterre seront sur la pelouse de l'Etihad Stadium de Manchester face à leurs poursuivants immédiats, Manchester City. Une semaine plus tard, dimanche 14 février, les gars des Midlands se déplaceront chez le troisième, Arsenal. L'idée la plus communément admise est que Leicester va perdre ces deux matchs et rentrer dans le rang.
On leur promettait déjà un retour de flamme à l'automne après un été de feu (13 matchs: 8 victoires, 4 nuls, 1 défaite, plus 13 buts pour l'attaquant Jamie Vardy), un rappel à l'ordre en novembre face aux grosses équipes (mais non; 1-1 contre Manchester United, 2-1 contre Chelsea), un coup de fatigue durant les Fêtes (partiellement avéré, 2 points sur 9 possibles), la fin de l'état de grâce en 2016 (au contraire: 4 victoires, 1 nul). Mais Leicester s'en est chaque fois sorti et, plus collant que le sparadrap du capitaine Haddock, continue de jouer les troubles-fêtes. Du coup, les football pundits, ces anciens joueurs reconvertis en experts des plateaux télés qui pullulent en Angleterre, ont à chaque fois dû réviser leurs prévisions à la hausse. Cran par cran. La «Blue army» finira dans le top 6. Hum, elle décrochera une qualification en Ligue des Champions. Well, elle montera sur le podium.
Gagner la Premier League? Pas si vite! Pour le moment, seul l'entraîneur Claudio Ranieri en parle, et encore «parce que rêver fait partie du plaisir du supporter». Imaginer Leicester champion d'Angleterre le 15 mai sur la pelouse de Chelsea est encore un sujet tabou. Parce qu'il reste 14 matchs. Parce que Leicester doit logiquement perdre contre Manchester City et Arsenal. Parce que, surtout, cela ferait désordre sur les vertes pelouses du royaume. Pas tant parce pour le prestige écorné; la Premier League est le seul championnat qui a toujours communiqué sur la ligue et non sur les seules têtes de gondole. Non, ce qui gêne, et qui gênerait si Leicester allait au bout, c'est que l'équipe gagne avec des méthodes toutes simples et remet au goût du jour quelques vérités oubliées. Nous en avons déterré six.
1 Le tout est plus que la somme des parties
Le discours dominant fait croire que l'on n'a jamais aussi bien joué au football que maintenant. C'est faux. Si le football moderne compile autant de grands joueurs – tous attaquants ou milieux offensifs – c'est parce que le jeu est devenu un sport individuel. Trop souvent, on ne joue que pour ses stats, sa gueule. La gageure de l'entraîneur moderne est de convaincre onze types surpayés de se battre ensemble pour un objectif commun. Pas simple… «Les grands clubs ont basculé dans la dictature de l'individualisme et de la médiatisation, observe Vincent Chaudel, expert sport au cabinet Kurt Salmon. Avec un entraîneur très compétent et des joueurs de très bon rang, Leicester arrive à sur-performer parce que pour eux, le football reste un sport collectif.» En 2012, le PSG avait laissé échapper un titre à Montpellier. Leicester peut le refaire.
2 Le mieux est l'ennemi du bien
Autre phénomène de mode: croire que seuls Guardiola ou Ancelotti peuvent vous faire gagner. Claudio Ranieri est un excellent entraîneur, qui a obtenu des résultats partout où il a passé. Pas de titre, c'est vrai, mais du bon boulot. S'il est l'entraîneur de Leicester depuis cette saison, c'est parce que sa saison 2014 à 80 points à l'AS Monaco n'a pas été jugée suffisante par les dirigeants monégasques. Dix ans plus tôt, sa deuxième place et sa demi-finale de Ligue des Champions à la tête de Chelsea n'avaient pas suffi à sauver la sienne. On lui préféra José Mourinho. En décembre 2015, le Leicester de Ranieri a battu 2-1 le Chelsea de Mourinho, qui fut licencié le lendemain. L'Italien ne s'est pas encore vengé de Gary Lineker, ex-gloire de Leicester et commentateur vedette de la BBC, qui avait jugé en juillet dernier sa nomination «uninspiring». «Are you watching, Gary?»
3 Le jeu de possession n'est pas la seule option
Depuis quelques jours, le but de Jamie Vardy contre Liverpool fait le tour du web. Un long ballon devant, un rebond, une frappe lobée de 25 mètres. Leicester remet au goût du jour le bon vieux 4-4-2. Un jeu simple, direct, vers l'avant, qui tranche avec le jeu de possession popularisé par l'Espagne et que Guardiola s'apprête à importer outre-Manche. La tactique est affaire de cycles, ce qui a eu payé repaye un jour. Cela fait quelques années déjà que Roy Hodgson, le sélectionneur de l'équipe d'Angleterre, préconise un jeu épuré - «maximum cinq passes avant d'envoyer le ballon dans la surface» - pour contourner le point fort adverse: le milieu de terrain. C'est parfois fruste mais ça marche. Et Leicester sait aussi jouer dans les pieds.
4 L'important, c'est la dynamique
Le 22 novembre 2014, Leicester City, qui venait de connaître deux promotions successives, était dernier de Premier League. Le 22 novembre 2015, Leicester était premier de Premier League. Que s'est-il passé entre temps? Rien, ou pas grand-chose. Condamné à la relégation, l'équipe s'est sauvée in-extremis en alignant sept victoires lors des neuf derniers matchs. A l'exception de cinq mois difficile, le club est donc sur une dynamique positive depuis trois ans. Un phénomène de plus en plus fréquent dans le football et que l'on retrouve dans différents pays, à différents degrés (Angers en France, Carpi en Italie, Le Mont en Suisse). «En arrivant, le coach a vu que l'équipe avait un bon style de jeu et une bonne ambiance. Il a eu l'intelligence de ne pas tout chambouler», soulignait récemment le gardien Kasper Schmeichel à la BBC.
5 Un bon gardien, un bon buteur, le début du bonheur
La France 82, le Brésil 86 ou Arsenal peuvent vous en causer: pas de grande équipe sans un bon gardien et un bon buteur. Un précepte vieux comme le foot qui fait le bonheur de Leicester. Tout derrière, Kasper Schmeichel se fait enfin un prénom après avoir porté pendant 25 ans la pancarte «fils de» Peter Schmeichel, légendaire gardien de Manchester United. Tout devant, Jamie Vardy est désormais bien plus qu'un simple tube de l'été. Il en est à 18 buts et Hollywood rêve d'adapter sa success story sur grand écran.
6 La Nature a horreur du vide
Le chaos créé l'opportunité. La réussite de Leicester, c'est d'abord la faillite du Big 5. Chelsea, City et Manchester United, qui ont gagné tous les titres depuis 2005, ne tiennent pas leur rang. Liverpool et Chelsea ont déjà changé d'entraîneur, City a annoncé Guardiola, United s'apprête à remplacer van Gaal. Arsenal déçoit toujours au moment décisif. Sans être exceptionnel, Leicester en profite. L'équipe de Claudio Ranieri tourne à la moyenne très moyenne de 2 points par match (50 points en 24 matchs), contre 2,3 ou 2,4 points par match pour un champion «classique». Aujourd'hui, Manchester City sprinte pour refaire son retard. Une course qui rappelle le lièvre et de la tortue. Le foot moderne s'abreuve toujours aux vieilles fables.
Laurent Favre
Leicester rappelle au football anglais ses vieux classiques
Leader surprise de Premier League, la petite équipe des Midlands devance les grands clubs d'Angleterre avec des recettes toutes simples et souvent aussi vieilles que le football
C'est l'heure de vérité pour les joueurs de Leicester City. Samedi (13h45), les surprenants leaders du championnat d'Angleterre seront sur la pelouse de l'Etihad Stadium de Manchester face à leurs poursuivants immédiats, Manchester City. Une semaine plus tard, dimanche 14 février, les gars des Midlands se déplaceront chez le troisième, Arsenal. L'idée la plus communément admise est que Leicester va perdre ces deux matchs et rentrer dans le rang.
On leur promettait déjà un retour de flamme à l'automne après un été de feu (13 matchs: 8 victoires, 4 nuls, 1 défaite, plus 13 buts pour l'attaquant Jamie Vardy), un rappel à l'ordre en novembre face aux grosses équipes (mais non; 1-1 contre Manchester United, 2-1 contre Chelsea), un coup de fatigue durant les Fêtes (partiellement avéré, 2 points sur 9 possibles), la fin de l'état de grâce en 2016 (au contraire: 4 victoires, 1 nul). Mais Leicester s'en est chaque fois sorti et, plus collant que le sparadrap du capitaine Haddock, continue de jouer les troubles-fêtes. Du coup, les football pundits, ces anciens joueurs reconvertis en experts des plateaux télés qui pullulent en Angleterre, ont à chaque fois dû réviser leurs prévisions à la hausse. Cran par cran. La «Blue army» finira dans le top 6. Hum, elle décrochera une qualification en Ligue des Champions. Well, elle montera sur le podium.
Gagner la Premier League? Pas si vite! Pour le moment, seul l'entraîneur Claudio Ranieri en parle, et encore «parce que rêver fait partie du plaisir du supporter». Imaginer Leicester champion d'Angleterre le 15 mai sur la pelouse de Chelsea est encore un sujet tabou. Parce qu'il reste 14 matchs. Parce que Leicester doit logiquement perdre contre Manchester City et Arsenal. Parce que, surtout, cela ferait désordre sur les vertes pelouses du royaume. Pas tant parce pour le prestige écorné; la Premier League est le seul championnat qui a toujours communiqué sur la ligue et non sur les seules têtes de gondole. Non, ce qui gêne, et qui gênerait si Leicester allait au bout, c'est que l'équipe gagne avec des méthodes toutes simples et remet au goût du jour quelques vérités oubliées. Nous en avons déterré six.
1 Le tout est plus que la somme des parties
Le discours dominant fait croire que l'on n'a jamais aussi bien joué au football que maintenant. C'est faux. Si le football moderne compile autant de grands joueurs – tous attaquants ou milieux offensifs – c'est parce que le jeu est devenu un sport individuel. Trop souvent, on ne joue que pour ses stats, sa gueule. La gageure de l'entraîneur moderne est de convaincre onze types surpayés de se battre ensemble pour un objectif commun. Pas simple… «Les grands clubs ont basculé dans la dictature de l'individualisme et de la médiatisation, observe Vincent Chaudel, expert sport au cabinet Kurt Salmon. Avec un entraîneur très compétent et des joueurs de très bon rang, Leicester arrive à sur-performer parce que pour eux, le football reste un sport collectif.» En 2012, le PSG avait laissé échapper un titre à Montpellier. Leicester peut le refaire.
2 Le mieux est l'ennemi du bien
Autre phénomène de mode: croire que seuls Guardiola ou Ancelotti peuvent vous faire gagner. Claudio Ranieri est un excellent entraîneur, qui a obtenu des résultats partout où il a passé. Pas de titre, c'est vrai, mais du bon boulot. S'il est l'entraîneur de Leicester depuis cette saison, c'est parce que sa saison 2014 à 80 points à l'AS Monaco n'a pas été jugée suffisante par les dirigeants monégasques. Dix ans plus tôt, sa deuxième place et sa demi-finale de Ligue des Champions à la tête de Chelsea n'avaient pas suffi à sauver la sienne. On lui préféra José Mourinho. En décembre 2015, le Leicester de Ranieri a battu 2-1 le Chelsea de Mourinho, qui fut licencié le lendemain. L'Italien ne s'est pas encore vengé de Gary Lineker, ex-gloire de Leicester et commentateur vedette de la BBC, qui avait jugé en juillet dernier sa nomination «uninspiring». «Are you watching, Gary?»
3 Le jeu de possession n'est pas la seule option
Depuis quelques jours, le but de Jamie Vardy contre Liverpool fait le tour du web. Un long ballon devant, un rebond, une frappe lobée de 25 mètres. Leicester remet au goût du jour le bon vieux 4-4-2. Un jeu simple, direct, vers l'avant, qui tranche avec le jeu de possession popularisé par l'Espagne et que Guardiola s'apprête à importer outre-Manche. La tactique est affaire de cycles, ce qui a eu payé repaye un jour. Cela fait quelques années déjà que Roy Hodgson, le sélectionneur de l'équipe d'Angleterre, préconise un jeu épuré - «maximum cinq passes avant d'envoyer le ballon dans la surface» - pour contourner le point fort adverse: le milieu de terrain. C'est parfois fruste mais ça marche. Et Leicester sait aussi jouer dans les pieds.
4 L'important, c'est la dynamique
Le 22 novembre 2014, Leicester City, qui venait de connaître deux promotions successives, était dernier de Premier League. Le 22 novembre 2015, Leicester était premier de Premier League. Que s'est-il passé entre temps? Rien, ou pas grand-chose. Condamné à la relégation, l'équipe s'est sauvée in-extremis en alignant sept victoires lors des neuf derniers matchs. A l'exception de cinq mois difficile, le club est donc sur une dynamique positive depuis trois ans. Un phénomène de plus en plus fréquent dans le football et que l'on retrouve dans différents pays, à différents degrés (Angers en France, Carpi en Italie, Le Mont en Suisse). «En arrivant, le coach a vu que l'équipe avait un bon style de jeu et une bonne ambiance. Il a eu l'intelligence de ne pas tout chambouler», soulignait récemment le gardien Kasper Schmeichel à la BBC.
5 Un bon gardien, un bon buteur, le début du bonheur
La France 82, le Brésil 86 ou Arsenal peuvent vous en causer: pas de grande équipe sans un bon gardien et un bon buteur. Un précepte vieux comme le foot qui fait le bonheur de Leicester. Tout derrière, Kasper Schmeichel se fait enfin un prénom après avoir porté pendant 25 ans la pancarte «fils de» Peter Schmeichel, légendaire gardien de Manchester United. Tout devant, Jamie Vardy est désormais bien plus qu'un simple tube de l'été. Il en est à 18 buts et Hollywood rêve d'adapter sa success story sur grand écran.
6 La Nature a horreur du vide
Le chaos créé l'opportunité. La réussite de Leicester, c'est d'abord la faillite du Big 5. Chelsea, City et Manchester United, qui ont gagné tous les titres depuis 2005, ne tiennent pas leur rang. Liverpool et Chelsea ont déjà changé d'entraîneur, City a annoncé Guardiola, United s'apprête à remplacer van Gaal. Arsenal déçoit toujours au moment décisif. Sans être exceptionnel, Leicester en profite. L'équipe de Claudio Ranieri tourne à la moyenne très moyenne de 2 points par match (50 points en 24 matchs), contre 2,3 ou 2,4 points par match pour un champion «classique». Aujourd'hui, Manchester City sprinte pour refaire son retard. Une course qui rappelle le lièvre et de la tortue. Le foot moderne s'abreuve toujours aux vieilles fables.