"La LNA n'était pas un objectif"

Il y a cinquante ans, le club valaisan accédait pour la première fois à la LNA. Retour, jusqu'à la fin de l'année, sur les grands moments du FC Sion à travers les témoignages de ses héros. Aujourd'hui, on se penche sur ce fameux 20 mai 1962, jour de fête.
Chiasso, 20 mai 1962. Devant 2500 spectateurs et sous la direction de l'arbitre Huber, un rien laxiste envers la "brutalité tessinoise" - dixit l'envoyé spécial de la Feuille d'Avis du Valais -, une petite vingtaine d'irréductibles joueurs valaisans accèdent, pour la première fois, à l'élite du football suisse. Le FC Sion est promu en LNA à une journée de la fin. "Ce n'était pas planifié" , rigolent, 50 ans plus tard, Claude Sixt, son frère Alain, Gabriel Baudin, Peter Troger et Pierre Héritier, cinq des héros de l'époque qui sont encore parmi nous. "Les victoires s'enchaînant, sans vraiment avoir cet objectif en tête, on s'est dit: "Pourquoi pas?" Nous n'avons pas le souvenir d'un moment précis, d'un match qui aurait pu servir de déclic."
Ce jour-là, Chiasso, alors en tête avec deux points d'avance sur son rival valaisan, s'incline pour la première fois sur son terrain. "Ah! ça, ce n'était jamais facile d'aller gagner au Tessin" , poursuivent-ils. "Et quelle expédition pour s'y rendre! Nous étions partis très tôt le matin, en train. Le Centovalli, c'était toute une aventure." L'entraîneur-joueur Karl Spikofski, "un bon joueur mais aussi un très bon vivant..." , ouvre très vite le score d'un déboulé rageur. Juste après la mi-temps, le buteur Anker - "il valait une petite trentaine de buts par saison" - inscrit le deuxième. "A partir de là, Karl Spikovski a reculé pour occuper le poste de libéro. Il nous avait dit: "Continuez à jouer comme vous savez, ne vous préoccupez pas de moi!" Il était partout à la fois. Au but, Roger Panchard faisait le reste. Il avait réalisé des arrêts incroyables. Il avait des mains... C'étaient des pelles, il ramassait tout. On le surnommait la pieuvre pour l'amplitude de ses bras. C'était lui le patron de la défense. Devant lui, Pierre Héritier avait un aimant à la place de la tête. Il attirait tous les ballons."
Une gare noire de monde
En attaque, c'était souvent à Anker que revenait la tâche de marquer des buts. Mais Gabriel Baudin n'était pas en reste. "Cette année-là, j'avais inscrit treize goals. A l'époque, on marquait beaucoup de buts sur corners et sur coup-francs." Les vedettes n'étaient pas nombreuses. Il n'y avait guère que l'entraîneur-joueur, .. Anker et Roger Gasser à être un peu mieux côtés que les autres. "Notre force, c'était notre solidarité, l'homogénéité. Nous étions de vrais combattants. Nous aurions laissé notre vie sur le terrain avant de céder. C'était déjà l'esprit valaisan. A l'exception de Karl Spikofski et de Hans-Peter Meier, un Suisse-allemand, nous étions tous Valaisans. Aujourd'hui, il n'y en a plus qu'un ou deux... C'est dommage. En même temps, nous sommes parfaitement conscients que ce ne serait plus possible d'aligner autant de joueurs du cru." Gabriel Baudin n'est pas totalement convaincu. "C'est quand même un peu propre à Sion" , relève-t-il. "J'ai regardé Grasshopper-Zurich, le dernier match du premier tour. Il y avait dix-huit Suisses sur le terrain..."
Au retour, les héros sont accueillis à la gare de Sion, vers minuit. "C'était noir de monde, digne d'un retour triomphal lors des victoires en coupe de Suisse, des années plus tard. Il y avait là deux fanfares, celle de Sion et celle de Savièse. Nous avons été escortés sur toute l'avenue de la Gare lors du défilé. C'était fou. Ensuite, nous avions été reçus par les autorités communales à l'Hôtel de Ville. Plusieurs restaurateurs nous avaient également invités pour fêter ça."
Trois ans plus tard, Claude Sixt fêtera la première victoire en coupe de Suisse. "Dans mon esprit, il n'y a pas de comparaison possible entre les deux événements" , témoigne-t-il. "La coupe, c'était plus fort encore en termes d'émotion."
Michel Andenmatten, un président déjà mécène
Il n'était alors pas question de salaires. "Deux ou trois d'entre-nous, ceux qui venaient de l'extérieur, devaient tout juste être défrayés. En LNB, les dirigeants nous disaient qu'ils n'avaient pas le droit de nous payer parce que nous étions encore juniors. C'était un prétexte, bien évidemment. Nous avions droit à une paire de chaussures pour toute la saison." La promotion en LNA ne leur a donc rien rapporté, pas la moindre prime ni le moindre cadeau. "Non, à l'époque, on ne parlait jamais d'argent. D'ail leurs, le président (ndlr.: Michel Andenmatten) avait déjà bien assez de peine à équilibrer le budget. Quand il manquait quelques sous, c'est lui qui mettait la main à la poche. Il était un papa pour nous, toujours disponible pour discuter. En LNA, par contre, on touchait entre 200 et 500 francs par mois, selon les joueurs." Pourtant, les affluences étaient déjà assez conséquentes au Parc des Sports. Une butte derrière le goal et une petite tribune provisoire permettaient d'accueillir en moyenne quelque 5000 spectateurs. "Lors des derbies face à Martigny, ils étaient 8 ou 9000. Les adversaires n'aimaient déjà pas venir à Sion."
LE COIN ANECDOTIQUE
LE COIN ANECDOTIQUE
PROMU MAIS PAS TITRE
Une semaine après la promotion, Sion a étrillé Bellinzone (7-1). A égalité de points, Chiasso et Sion ont dû se départager pour le titre de champion de Suisse de LNB lors d'un match d'appui à Berne, au Neufeld. Les Tessinois se sont imposés 4-3 après prolongation.
LEURS CHEMINS SE SEPARENT
Réunis en LNB depuis quelques années, Sion et Martigny ont vécu un destin diamétralement opposé cette année-là. Dans le même temps où Sion était promu, Martigny retournait en première ligue après une ultime défaite lors de la dernière journée.
UN SEUL ETRANGER
En ligue nationale, les équipes n'avaient droit qu'à un seul étranger. Jusque-là seul, Karl Spikofski a dû composer avec la concurrence de... dès la première saison en LNA.
L'AUTOGOAL DE "BISCHOFF"
Les rapports entre le gardien Roger Panchard et son libéro, Pierre Héritier, dit "Bischoff", étaient souvent assez chauds. "Entre deux, c'était tout un poème. Un jour, alors que le score était déjà acquis, "Bischoff" était tellement fâché après Panchard et fatigué de l'entendre lui crier dessus qu'il s'est retourné et, du pointu, il a marqué dans la lucarne. Contre son camp..."
DEUX CHANGEMENTS, C'EST TOUT
A l'époque, les équipes n'avaient droit qu'à deux changements. En première mi-temps, exclusivement. "Et encore, il fallait que le joueur soit blessé pour pouvoir procéder à un changement. Il nous arrivait aussi de simuler une blessure pour permettre à un coéquipier de faire son entrée. Après la mi-temps, c'était terminé. On terminait à dix, voire à neuf s'il le fallait."
UNE OFFRE D'ALLEMAGNE
A l'époque, les joueurs ne quittaient pas facilement leur club. Il n'était pas question non plus de transfert à l'étranger. "J'aurais quand même pu partir en Allemagne" , témoigne Gabriel Baudin. "Lorsque l'entraîneur-joueur Spikovski est rentré chez lui, il m'avait proposé de le suivre."
IL CLAQUE LA PORTE
Gabriel Baudin, lui, a quitté l'aventure durant la saison 1963-1964. En plein match. "Je n'étais pas dans les bons papiers de lev Mantula, l'entraîneur" , se souvient-il. "Il avait succédé à Spikofski. Un dimanche que j'étais encore sur le banc, je me suis levé avant la mi-temps. J'ai pris mes affaires et je suis parti." "Moi aussi, j'ai arrêté en pleine saison à cause de Mantula" , enchaîne Alain Sixt. "Il n'était pas facile."
UNE RENCONTRE ANNUELLE
Grety Héritier, patronne du café-restaurant "Chez Bischoff", invite toutes les années les anciens joueurs du FC Sion à se retrouver autour d'une table. "Le rendez-vous est fixé, invariablement, au premier mercredi du mois de septembre" , explique-t-elle. "Il nous est arrivé d'être une cinquantaine." CS
PLAN FIXE
0 CHIASSO (0)
2 sion (1)
Campo di Via Comacini de Chiasso, 2500 spectateurs. Arbitre: M. Huber.
Buts: 2e Spikovski 0-1; 49e Anker 0-2.
Sion: Panchard; A. Sixt, Héritier, Salzmann; Karlen (Perruchoud), Meier; Spikofski, Troger, Anker, Baudin, Gasser.
L' EQUIPE DE 1962
Joueurs: Roger Panchard, Henri Favre, Jean-Paul Grand, Roger Gasser, Karl-Heinz Spikofski, Hans-Peter Meier, Roger Massy, André Giachino, Bernard Bétrisey, Gérald Allégroz, Claude Sixt, Alain Sixt, Gabriel Baudin, Peter Troger, Pierre Héritier, Eugène Salzmann, Alphonse Dupont, Jimmy Delaloye, René-Pierre Elsig, Bernard Karlen, Francis Anker, Roland Perruchoud, Bernard Goelz, Baudoin De Wolff, Peter Sommer, Michel Berthod.
Entraîneur: Karl-Heinz Spikofski.
Président: Michel Andenmatten.








