article du Temps pour ceux qui ne l'avait pas lu
Morinini-Blazevic, l'apologie du «hourra football»
SUPER LEAGUE. Face à Xamax, Yverdon a remporté le match qu'il fallait (2-1). Mais où était passée la patte de deux coaches pourtant typés à souhait?
Fred Hirzel, Yverdon
Lundi 3 avril 2006
En regardant ce bien nommé derby des mal classés romands de Super League, on songeait à celui des ténors de Challenge League, mercredi à la Pontaise. Quelle est, au fond, la différence majeure entre Yverdon et Neuchâtel Xamax d'une part, Lausanne et Sion de l'autre? Simplement le fait que les deux premiers cités n'ont pas connu des affres financières aussi profondes que les seconds. Ce qui leur permet de se maintenir (jusqu'à quand?) parmi l'élite du football suisse.
Parce que, s'agissant du jeu pur, il paraît évident que l'on pourrait inverser les rôles sans qu'il y ait maldonne. Le rythme du match d'hier par rapport à celui de la semaine passée? Inférieur. La science de l'occupation du terrain et le volume collectif? Inférieurs. La justesse des passes, l'imagination dans les schémas offensifs? Inférieurs. La technique d'ensemble? Inférieure. Les spectateurs? 4100 contre 9800. N'en jetons plus.
Le seul domaine où Nord-Vaudois et Neuchâtelois se sont montrés «supérieurs» à leurs homologues de la défunte ligue B émarge au nombre de fautes commises: 20 en première période - ça se calma par la suite - soit une moyenne de presque une toutes les deux minutes. Un match finement découpé au hachoir, en quelque sorte. Tout cela sous l'œil attendri de l'arbitre M. Rutz, appelé à diriger la finale de la Coupe, et qui oublia un penalty décisif en faveur de Xamax - accrochage du capitaine yverdonnois Christophe Jaquet sur Maraninchi - avec la sérénité du distrait laissant sa clé de contact à l'intérieur de la voiture après l'avoir fermée.
Néanmoins, Yverdon-Sport et NE Xamax, chacun fort de sa légion étrangère de troisième zone, nous auront donné une leçon à méditer: comment pratiquer le genre de foot propre à décourager le supporter le mieux disposé. En jargon, on appelle cela le «hourra football». Lequel repose sur un principe de base aussi simple qu'édifiant: se débarrasser du ballon, ressenti comme une patate chaude, à peine l'avoir touché. Pour mener à bien cette tactique élaborée, il faut éviter de contrôler le cuir, de lever la tête histoire de voir le jeu, et surtout de tenter une relance intelligente. Ça part directement dans le paquet adverse, ça revient de la même façon, etc... En prime, une quantité effarante de dégagements en chandelle («up and under»), qu'un amateur de rugby eût dignement appréciés.
Les trois goals? Ratages défensifs, cafouillages en pagaille, mêlées, avec un petit lutin opportuniste qui en profita (Biscotte à la 33e, Gomes à la 37e, Coly à la 48e). De la belle ouvrage, vraiment. Dictée par cette peur viscérale de la défaite qui obstrue le cerveau et/ou les verres de contact.
Le plus étonnant, dans ce foutoir, c'est que l'on n'a pas reconnu la patte de deux entraîneurs pourtant typés à souhait. D'abord le Tessinois d'Yverdon, Roberto Morinini, 55 ans, apôtre du «catenaccio» (cadenas) et de la verticalité, dépeint tel un personnage hermétique, un «intellectuel glacial», et une carrière biseautée de Chênois à Angers, en passant par Monthey, Locarno, Lugano, Sion, Servette.
«Il joue avec le frein à main, redouble de prudence», analysait notre confrère Jacques Ducret, la «bible»du foot helvétique, dans nos colonnes du 31 octobre 2005. «A Servette, qui visait le titre (ndlr: on remonte à 2002-2003), sa méthode a été un échec total. Mais son engagement par le club du Nord vaudois me semble judicieux, dans la mesure où il apporte une certaine discipline, un système rigoureux, approprié pour ce petit club en position de challenger. A Yverdon, personne ne peut lui reprocher de jouer prudent.»
Peut-être, mais encore faut-il, pour que ce style s'avère efficace, une arrière-garde granitique, un filtre épais au milieu du terrain, un buteur de contre-attaque aguerri. Yverdon-Sport ne possède rien de tout cela. Cependant, si l'on en croit le classement, les préceptes de Morinini fonctionnent peu ou prou. A l'énergie. L'équipe tiendra-t-elle jusqu'au bout?
Et puis, le Croato-Suisse de Xamax, Miroslav Blazevic, 69 ans, auréolé d'une troisième place au Mondial 98 avec la sélection de Croatie. L'homme des coups de poker insensés. Au Lausanne-Sport (1980), il aligne le gardien Eric Burgener centre-avant contre Servette, avec deux buts à son actif, mais aussi sept encaissés par son remplaçant Guy Buren. A Grasshopper, il commence par virer Roger Wehrli - alors capitaine de la Nati - de l'entraînement, place ensuite Raimondo Ponte, authentique No 10, en position de libero! Et ça marche.
De lui, ce général dans l'armée croate - feu le président Franjo Tudjman comptait parmi ses proches - on attend tout et n'importe quoi. Mais hier, hormis un sursaut d'orgueil insufflé à ses troupes durant la pause, «Miro» n'a rien essayé de bluffant. Du béton défensif fissuré, deux kamikazes esseulés aux avant-postes, aucune étincelle de folie, celle qui fait se lever l'observateur de saisissement.
Après l'amère défaite, dans les soubassements du Stade municipal, le regard du cocker triste, le général Blazevic devait se dire qu'il n'a plus de soldats assez valeureux en vue de mitonner ses fameuses opérations commandos. Les temps changent.
De bonne augure avant la finale...